Emile Leroudier 1870-1937
Conférence samedi 15 novembre 2025 Gérard Truchet

Le nom d’Émile Leroudier s’est malheureusement effacé de la mémoire des Lyonnais, mais pour les amis de Lyon et de Guignol, il reste, entre autres, l’inimitable auteur des maximes éparpillées dans les almanachs, sous le titre de « Choses de dire et de faire, Choses de faire et de ne pas dire, Choses de dire et de ne pas faire ». C’est pourquoi il est apparu opportun de les publier en presque totalité dans un ouvrage proposé à la sagacité des gones oublieux, et même de ceux qui ne le sont pas.
Mais qui était donc Émile Leroudier ?
Il est né en 1870 sur les pentes de la Croix-Rousse, place Croix-Paquet. Son père est dessinateur en soierie, dessinandier pour utiliser l’appella-tion typiquement lyonnaise et il est considéré par ses confrères comme l’un des plus habiles, réalisant nombre d’étoffes originales et de portraits tissés. Sa mère, Marie-Anne Leroudier, brodeuse de grand talent ouvre son atelier de broderie à seulement 24 ans et se spécialise d’abord dans la restauration de broderies et tapisseries anciennes, puis dans la création d’œuvres magistrales, telle la réplique en broderie sur satin du
Christ en Croix de Van Dyck, aujourd’hui conservée au Musée des Tissus. Elle travaille pour le grand Opéra de Paris et prendra en charge la direction du cours de broderie créé par la ville de Lyon en 1888.
Ainsi Émile Leroudier est à bonne école dans ce milieu où l’art tient une place prépondérante. Brillamment diplômé de l’école des Beaux-Arts et de l’école de Tissage, il deviendra à son tour un dessinandier respecté jusqu’à être élu par ses pairs président du Syndicat des Dessinateurs de Fabrique.
En 1895 il a épousé Marie Bouchard. Ensemble, ils auront cinq enfants qui leur donneront à leur tour 19 petits-enfants. Il habite 86 boulevard de la Croix-Rousse dans la maison ayant appartenu à ses parents. Il y décède le 9 avril 1937.
En plus de servir l’art de la soierie avec grand talent, Émile Leroudier défendra toujours les canuts, dont on connait les nombreuses difficultés, notamment sociales. Lorsqu’il est élu conseiller municipal en 1919, avant de devenir adjoint au maire de Lyon, sans interruption de 1924 à sa mort, il se fait rapidement un spécialiste des questions du tissage et prend régulièrement position en faveur des canuts, dont le sort est hélas réglé trop souvent avec beaucoup d’indifférence. Il se fait le défenseur de leur vie matérielle, de leurs idées, leur culture, leur langage si caractéristique et si savoureux.
Ses travaux consacrés aux métiers de la soie et aux dessinateurs en particulier, à la vie lyonnaise au XVIIIe siècle et à ses évolutions, sont nombreux et ils lui permettent de développer ses talents d’écrivain. Ainsi publie-t-il un Historique de l’Hôtel-Dieu, un volume consacré aux enfants en nourrice à Lyon au XVIIIe siècle et en 1930 « Les cahiers d’Étienne Benoit », livre de raison d’un Dessinateur de la Fabrique Lyonnaise.
Il est présent également lorsqu’il s’agit de rendre hommage à Laurent Mourguet en 1911, en étant membre du comité créé pour l’occasion. Après l’inauguration du monument le 21 avril 1912, il fait partie de ceux qui, aux côtés de Justin Godart, fondent la société des amis de Guignol. Il en est nommé trésorier adjoint avant d’en devenir le trésorier. En 1924 il est élu 1er vice-président et devant les nombreuses absences du président Justin Godart, il est vite appelé à présider les réunions de comité et à animer les diverses manifestations.
En 1920, pour pallier les déboires de l’Académie du Gourguillon, il participe avec Justin Godart, Antoine Sallès, Eugène Vial et monseigneur Lavarenne à la fondation de l’Académie des Pierres Plantées. Il en sera nommé Chancelier.
Comme le veut la tradition, Clair Tisseur ayant montré l’exemple en prenant le nom de Nizier du Puitpelu lors de la création de l’Académie du
Gourguillon, Justin Godart sera Catherin Bugnard et Émile Leroudier
Glaudius Mathevet.
Aux amis de Guignol, s’inspirant de la publication de l’almanach de la ville de Lyon, Émile Leroudier propose la création de l’almanach des Amis de Guignol. Le premier numéro paraît en 1922, suivi de 18 autres.
En première page on peut lire sous la signature de Glaudius Matevet, de l’académie des Pierres Plantées :
« Note au benoist lecteur en manière de préface et d’avertissement, d’avant-propos, d’introduction, de préambule, de discours préliminaires, de prolégomènes, enfin de tout ce qu’on voudra !
Le v’la donc c’t’armanach des amis de Guignol, que tout un chacun attendait comme le canant attend sa canante, le miron son sou de melette, le canut des argents en avance sur sa pièce et Mr. Chaînegrège, le gros fabricant du Griffon, le ruban de la Légion d’honneur.
Le v’la donc à la fin des fins. Lisez-le bien, mes chers mamis et arelisez-le souvent, et mettez-le de coin pour l’arelire toutes fois et quantes les embiernements de l’existence ou le gongonnage de votre fenotte vous auront sigrolé l’entendement.
I vous donnera de bons conseils et de chenuses recettes de mangeaille, y vous contera de gognandises et de gandoises et vous dira tout ce qu’est de faire ou de ne pas faire. En un mot comme en cent, y sera pour vous comme le gobelet de mortavie pour la mère Bazuche les fois qu’elle a les sanques tournés ou les nerfs croisés sus l’estomac.
Et autrement les gones, je vous souhaite la bonne année et de bien suivre le précepte de notre ancien Nizier du Puitpelu, à savoir :
Tenez vous tout un chacun des jours de l’année, pieds chauds, tête fraîche et ventre joyeux et vous tarabusquez point trop l’entendement (on arrive toujours à temps pour mourir) et par-dessus tout, demeurez bons et francs Lyonnais de Lyon su le Rhône. ».
La lecture commence par le véritable calendrier lyonnais où on ne trouve que des saints que sont de chez nous ou que méritent d’en être. S’en suivent tout un cuchon de textes plus savoureux les uns que les autres et notamment sous sa plume, la délicieuse Légende du Gros Caillou, La très véridique histoire de Tape-du-Cu ou bien encore Le melon de Pierre-Bénite, pour n’en citer que quelques-uns.
Fort du succès de l’almanach, il initie la création du bulletin trimestriel, toujours bien vivant près d’un siècle plus tard, avec ce numéro, le 294e de la série.
Le véritable trait d’union de son œuvre, c’est l’esprit lyonnais qu’il capte méticuleusement en prêtant une oreille attentive aux conversations échangées dans un tramevet, un bouchon, lors d’une partie de boules, ou tout simplement en se bambanant sur le boulevard de la Croix-Rousse et
qu’il consigne, en philosophe qu’il est, dans les almanachs ou les bulletins sous forme de maximes réunies sous ce titre de « Choses de dire et de faire ». Il s’en sert également pour illustrer en 1927 une conférence donnée en parler lyonnais et intitulée : l’Esprit de chez nous. Et de l’esprit lyonnais, voilà ce qu’il dit :
« Nous connaître à fond est quelque peu difficile, rapport à ce que nous ne nous ouvrons guère qu’à ceux auxquels nous avons donné toute notre confiance et que notre confiance, nous en sommes encore plus ménagés que de nos écus et ce n’est pas peu dire !
Le vrai de vrai est que notre esprit local, notre mentalité particulière à nous, lyonnais, n’ont jamais été sérieusement profondément étudiés, sauf peut-être, par quelques écrivains réellement de chez nous.
Quant aux autres, l’esprit lyonnais que dit l’un, c’est un mélange de mysti-cisme et de réalisme. C’est, que dit l’autre, un composé de la chaude imagination des méridionaux et de froid raisonnement de l’homme du nord.
Je crois bien que tout cela n’est que de la godelle, de la simple littérature autrement dit, et je suis de plus en plus persuadé que dans l’esprit des gones de chez nous, des vrais gones, il entre surtout du bon sens, du vrai bon sens, de ce gros bon sens dont, s’il venait à disparaître du reste de la terre, il nous en resterait assez à nous, Lyonnais, pour en pouvoir distribuer quelques béatilles à tout un chacun des autres.
A ce gros bon sens joignez une ironie narquoise, un peu d’esprit frondeur et une pointe de poésie bien particulière, d’une émotivité simple, naturelle, familiale.
Notre gros bon sens natif, ressort surtout dans ces manières de proverbes ou de dictons qui, si joliment, émaillent à l’accoutumée la conversation des gones de Lyon. Tenez voici en guise d’exemple, un bon conseil que pas n’importe qui, quel qu’il soit, regrettera jamais d’avoir suivi :
Ecoute voir un peu gone, t’as deux yeux, deux oreilles et qu’une bouche, pas vrai ! À donc c’est qu’il faut parler à cha peu et voir et entendre à regonfle. Et le pur Lyonnais ajoute : et autrement la bouche, c’est souvent fait pour manger et pour boire, bien sûr !
Je dois avouer, sans aucune honte que la question du boire et du manger tient une place dans nos proverbes et nos dictons. Oh ! Ce n’est point que le Lyonnais soit paresseux ou rechigne à la besogne ! Non, il le dit lui
-même :
C’est pas d’arregarder son métier et de bouliguer autour qu’avance la besogne, c’est d’y faire !
Le Lyonnais est profondément philosophe et ne s’émeut pas facilement, car ainsi qu’il le proclame lui-même : Il faut prendre le temps comme il vient, le monde comme ils sont et l’argent pour ce qu’elle vaut.
Il est économe et pense que si l’argent est plate, c’est pour qu’on l’empile, et il conseille volontiers : Mange pas tout ce que tu gagnes, tant que tu gagnes, pour avoir de quoi manger quand tu ne gagneras plus.
Ainsi vous le voyez, le Lyonnais prend le mot argent au féminin, sans doute pour lui témoigner plus de déférence. Mais s’il s’incline devant la puissance et la richesse, du moins garde-t-il toute liberté tant qu’à ceux qui la possèdent et il dit :
Si t’as des argents, garde les bien, mais t’en crois pas pour ! »
Chers sociétaires,comme vous avez pu en juger par vous-même, Émile Leroudier incarne à lui seul la plaisante sagesse lyonnaise et notre démarche d’éditer ces « Choses de dire et de faire » en un ouvrage au format de votre poche était tout à fait légitime. Au fil de ses 64 pages, vous les partagerez avec toutes les fenottes et tous les gones près de chez vous, sans oublier les ceusses que sont pas de chez nous, « Car tout le monde peuvent pas être de Lyon. Il en faut bien d’un peu partout. ».
