17 février 2024
La ville de Lyon chevillée au corps, le médecin et policier Edmond Locard réussira à en faire la capitale de la police scientifique pendant près d’un demi-siècle.
Des stagiaires de tous horizons viendront ainsi se former sur les bords de Saône et mâchonner, entre deux enquêtes, sous la conduite du fondateur de la police scientifique.
Docteur et agrégé d’histoire, AMOS FRAPPA enquête depuis plusieurs années sur Edmond Locard et la police scientifique.
Depuis la rentrée en 2023, il dirige le sauvetage du fonds Locard aux Archives Municipales de Lyon.
Il sera au rendez-vous des prochains Quais du Polar pour un cold case* musical mené avec le Concert de l’Hostel Dieu. Une conférence richement illustrée.
Edmond Locard, le Sherlock Holmes lyonnais - Conférence du 17 février 2024
Par Amos Frappa
Pour évoquer la carrière d’Edmond Locard, professeur de médecine légale, nous avons fait appel à Amos Frappa, docteur et agrégé d’histoire, grand spécialiste de notre célèbre enquêteur et de la police scientifique, mais aussi conseiller technique pour des auteurs de romans policiers, que l’on a pu retrouver Quais du Polar pour un cold case musical avec le Concert de l’Hostel Dieu.
Edmond Locard, s’est fait connaître, tout comme le célèbre détective de fiction Sherlock Holmes, par son souci du détail qui lui a permis de résoudre de nombreuses enquêtes difficiles.
Il est né le 13 décembre 1877 à Saint-Chamond dans une famille d’ingénieurs. L’année suivante ses parents s’installent à Lyon, quai Gailleton. Edmond fait de brillantes études au collège Saint-Thomas d’Aquin d’Oullins. Après quelques années de droit, il s’oriente vers la médecine pour faire plaisir à son père. Mais le décès de son professeur de thèse, Louis Léopold Ollier, créateur de la chirurgie orthopédique, va réorienter sa carrière. En effet, il devient l’élève d’Alexandre Lacassagne, titulaire de la chaire de médecine légale à la faculté de Lyon. Il est reçu docteur en médecine en 1902 et obtient sa licence en droit en 1905. Aux côtés d’Alexandre Lacassagne, il intègre l’univers judiciaire en suivant les enquêtes de son professeur. Il travaille avec la police de la Sûreté et s’installe au Palais de Justice des 24 colonnes. En 1910, il crée le laboratoire de La Police Scientifique de Lyon (LPS), à l’instar d’Alphonse Bertillon à Paris, grand criminologue, père de l’anthropométrie criminelle moderne chez qui il a fait un stage.


Dans son bureau
Avec peu de moyens, ses débuts sont modestes sous les combles du Palais de Justice. Mais son souci du détail va lui permettre de résoudre sa première affaire, un crime perpétué dans le quartier Villette à la Part-Dieu. Il fait analyser les excréments laissés sur place par le malfrat en signe de provocation, y découvre un parasite très rare et confond l’assassin qui venait d’être pris dans une rafle et emprisonné à la prison Saint-Paul après avoir fait tester toutes les selles de tous les détenus.
Il dirige une structure scientifique intégrée à la Police Nationale, sans toutefois être policier lui-même, comme le sera son fils Jacques qui lui succèdera. En 1914, lors de l’exposition universelle, il est déjà reconnu mondialement. Il reçoit ses collègues internationaux sur son propre stand. Mobilisé pendant la première guerre mondiale, il travaille pour les renseignements au décryptage de documents allemands et au service de santé où il devient le secrétaire de Justin Godard, alors sous-secrétaire d’État à la Santé.
Il devient un véritable expert de la police en utilisant des techniques simples : la photographie pour mémoriser les scènes de crime, la dactyloscopie, l’étude des empreintes qu’il va systématiquement relever, la poroscopie, l’étude des pores de la peau pour compléter celle des empreintes digitales et améliorer la dactyloscopie de Bertillon, la graphos- copie, en créant un appareil permettant l’expertise des documents écrits, la graphométrie, utilisant les mathématiques pour caractériser une écriture et évaluer l’authenticité d’un document. Sa plus grande réussite en ce domaine est celle du corbeau de Tulle en 1922, affaire dans laquelle il confond l’autrice des lettres anonymes qui ont défrayé la chronique jusqu’à entrainer des suicides. De même il réfutera les conclusions d’Alphonse Bertillon dans l’analyse de la lettre attribuée au Capitaine Dreyfus, affirmant que la lettre n’était pas de sa main.
Il se passionne également pour les sciences occultes et connecte la police scientifique à l’ésotérisme. Il fait appel à des radiesthésistes, des astrologues. Il utilise la Chiroscopie, analyse psychologique d’un suspect par l’examen de ses mains. Il s’impose par son flair et ses techniques. Il énonce le « principe d’échange » : « Lorsque deux corps entrent en contact l’un avec l’autre, il y a nécessairement un transfert entre ceux-ci ». Lorsqu’un acte criminel se produit, l’individu responsable laisse des traces de sa présence et emporte avec lui des éléments du lieu où il se trouvait. Ce principe, inspiré par Sherlock Holmes qui ramasse des poussières dans une de ses enquêtes, reste toujours la base des enquêtes de toutes les polices du monde.
Il est considéré comme le père de la « criminalistique », ensemble des techniques mises en œuvre pour établir la preuve d’un délit ou d’un crime
et en identifier l’auteur, et a été un ardent défenseur de la coopération policière internationale, idée qui a conduit à la création d’Interpol à Lyon. Il sera professeur à l’École des Commissaires de Police de Saint-Cyr-au- Mont-d’Or et le Service National de Police Scientifique (SNPS) s’installe à Ecully en 2021. Autant d’hommages à ce grand scientifique de la police.
L’heure de la retraite Le timbre commémoratif
Edmond Locard restera attaché à la ville de Lyon, bien que plusieurs fois sollicité pour occuper un poste parisien, par exemple en 1929 après l’assassinat du Directeur du Service de l’Identité Judiciaire, Edmond Bayle. Il prend sa retraite en 1951 à 73 ans, son fils Jacques lui succé- dant. Dès 1945 il s’est investi dans des associations lyonnaises, dont Les Amis de Lyon et de Guignol. Il en sera le second président. Il est égale- ment l’auteur d’un ouvrage philatélique. Il décède le 4 mai 1966 et est inhumé au cimetière d’Oullins.
Au fil du temps son image s’estompe à Lyon. Même Frédéric Dard n’a pas fait mention de la police scientifique dans ses romans, « San Antonio chez les Gones » notamment, pourtant publié en 1962. C’est la philatélie qui va le remettre à l’honneur en 2016 avec l’émission d’un timbre commémorant les 50 ans de son décès.
Roland Racine